À quoi servira cette organisation politique ?

Pour répondre à ces menaces et contribuer à une révolution écologique et sociale, nous pensons qu’il faut une nouvelle organisation politique. Mais pourquoi une organisation politique, et pourquoi une de plus ?

D’abord parce que face à la gravité de la situation, ce dont nous avons besoin ce n’est pas d’un mouvement gazeux et vertical, ni d’un simple réseau de collectifs militants, mais d’une organisation véritablement collective, démocratique, conviviale et polyvalente, construite à égalité par toutes et tous ses membres, permettant de confronter les points de vue et de prendre des décisions, de nous rencontrer et d’agir sur le terrain, de nous former et d’intervenir dans le débat public de manière coordonnée. Contrairement à la France Insoumise, cette organisation devra avoir des règles démocratiques, collectivement élaborées, sans lesquelles il ne saurait y avoir ni véritables délibérations, décisions et action collectives, ni inclusivité, ni légitimité et au final ni ancrage populaire ni pérennité. La question de la démocratie interne est pour nous fondamentale (voir partie 4), et elle est liée aussi à ce que nous voulons faire au moyen des outils construits dans le cadre d’une telle organisation : pas seulement participer aux élections (même s’il faut prendre les luttes électorales très au sérieux (voir partie 5), mais aussi initier et contribuer à la solidarité concrète, l’auto-organisation et l’autodéfense dans les quartiers populaires, à des actions culturelles et sociales de terrain, au soutien aux luttes et au renforcement des mobilisations sociales, à l’autoformation populaire à partir des expériences et savoir de chacune et chacun, à l’intervention médiatique (et son corollaire, la critique des médias), l’élaboration programmatique en lien avec la construction d’un horizon alternatif global, la participation à des fronts sociaux et politiques utiles aux intérêts de notre camp, à la construction autogestionnaire et internationaliste. Cette nouvelle organisation devra être capable de contribuer à l’auto-organisation de celles et ceux qui luttent dans les usines, dans les services publics, et dans tous les secteurs où travailleuses et travailleurs subissent l’exploitation et l’oppression du système. Elle devra être capable, bien plus encore que ce qu’ont pu faire (ou pas) les organisations de la gauche radicale, alternative et anticapitaliste jusqu’ici, de donner toute leur place aux forces vives des quartiers populaires, de l’immigration et de la jeunesse ainsi qu’à la nouvelle génération des mouvements sociaux, notamment féministes, LGBTQI+, antiracistes, écologistes et antivalidistes, bien au-delà des cercles militants habituels, pour être construite par et pour les premiers et premières concernées par l’exploitation, l’oppression et la dégradation de la vie.

À quoi devra servir, donc, cette nouvelle organisation politique ?

(A) Préparer et amorcer une révolution écologique, sociale et démocratique

Elle devra contribuer à préparer et amorcer une révolution écologique, sociale et démocratique pour sortir du capitalisme, du productivisme et du chemin écocidaire que prennent nos sociétés. Elle devra contribuer à transformer en profondeur notre rapport au travail, pour le mettre au service des besoins du plus grand nombre et non du profit de quelques-uns, pour l’intégrer à la régulation des écosystèmes naturels et non les détruire, pour que ce travail soit démocratique et écologique et non capitaliste et écocide. C’est la perspective qui peut paraître la plus lointaine, tant le défi est immense et nos forces organisées sont faibles, mais c’est aussi celle qui doit nécessiter le plus d’efforts, puisque sont en jeu les conditions matérielles de toutes nos existences et de nos luttes.

Nous partageons le constat que la gauche radicale, alternative et anticapitaliste devra être aux côtés des luttes populaires pour aboutir à leur auto-organisation, contribuer à leur prise de conscience de la force de leur mouvement, le seul acteur de transformation révolutionnaire du système. Il est nécessaire de décupler nos efforts d’autoformation populaire concernant les causes et les effets des catastrophes écologiques en cours, et d’expliquer les raisons des souffrances, épidémies et migrations forcées de bien plus grande ampleur qui arrivent, pour préparer la résistance aux réformes antisociales, écocides, racistes, liberticides.

Nous devons apprendre et faire connaître les nouvelles pratiques militantes écologistes qu’il s’agit de l’autodéfense écologique populaire, du blocage et du démantèlement des infrastructures écocides, de la grève écologique, etc., et renouveler avec elles toutes nos pratiques militantes. Notre organisation devra donc permettre la rencontre et l’alliance entre nos expériences, pratiques et luttes diverses, aussi bien celles des habitantes et habitants, des militantes et militants des ZAD que celles des syndicalistes qui se confrontent aux catastrophes écologiques à partir des conditions de travail et de la santé au travail, celles des mères et parents des quartiers populaires qui se battent pour que leurs enfants puissent manger de la nourriture saine à la cantine et à la maison ou respirent un air moins pollué, celles des personnes en situation de handicap à la pointe des combats contre la société validiste ainsi que celles de toutes les populations face aux maladies comme la COVID-19 pour une autodéfense sanitaire et solidaire. Elle devra poser clairement dans le débat public la nécessité d’une révolution écologique et sociale, aider à la bifurcation écologique de nos imaginaires collectifs, pratiques sociales et activités professionnelles dans le sens d’une décroissance écosocialiste et d’un alter développement (ces termes, notamment, font l’objet d’un débat entre nous, et la discussion doit continuer et s’élargir), et de la prise en compte de la vulnérabilité des vivants et des écosystèmes. Elle devra permettre d’enquêter sur les conditions naturelles de nos existences, nous former et populariser largement les apports des sciences de la nature (dont l’écologie scientifique) et de l’écologie politique, notamment du marxisme écologique, de l’écoféminisme, des courants technocritiques et de l’écologie sociale et décoloniale. Elle devra aussi participer aux alliances et solidarités internationales, par en bas, et faire vivre à toutes les échelles notre écologie, sociale, populaire et démocratique, contre le laissez-faire libertarien, le négationnisme climatique et le cynisme écocide, mais aussi contre toutes les écologies libérales, technosolutionnistes et autoritaires.

(B) Réaliser toutes les égalités et s’autodéfendre

Notre nouvelle organisation politique devra être un lieu de réalisation de toutes les égalités et un outil d’autodéfense face aux processus de fascisation, racisation et militarisation en cours et aux menaces existentielles qu’ils font peser en premier lieu sur les personnes racisées et les femmes des quartiers populaires. Bien plus que ce qui existe aujourd’hui au sein des partis politiques, il sera nécessaire de soutenir et renforcer l’autodéfense populaire et la solidarité concrète, de terrain, contre la répression policière contre les personnes racisées et contre les migrants et migrantes. Pour cela, les pratiques partidaires existantes, même les plus avancées aujourd’hui, sont insuffisantes : il est nécessaire, bien sûr, de participer à la construction de larges fronts sociaux et politiques, mais nous devrons aussi construire notre organisation avec des membres de ces collectifs antifascistes, antiracistes et sans papiers, former beaucoup plus systématiquement sur les enjeux complexes du racisme systémique ou sur les luttes autonomes des quartiers populaires et de l’immigration par exemple, et intégrer structurellement la révolution antiraciste, pour toutes les égalités, comme un objectif stratégique majeur et une dimension fondamentale du projet de société alternatif que nous portons.

(C) Être radicalement féministe

Cette nouvelle organisation devra également être radicalement féministe, pas seulement dans ses statuts et telle qu’elle se représente, mais dans son fonctionnement interne et ses pratiques (voir point 4) et dans ses objectifs : la révolution féministe, l’abolition du patriarcat, devra être un de ses objectifs majeurs et constants. Quel parti politique existant met toutes ses forces dans la préparation de la grève féministe du 8 mars ou le combat contre les violences sexuelles et sexistes en son sein et dans l’ensemble de la société ? Quelle organisation politique est capable de donner toute leur place et de construire à égalité avec les jeunes militantes de la quatrième vague du féminisme, dont les pratiques (grèves, collages, campagnes sur les réseaux sociaux…) renouvellent aujourd’hui la stratégie et les formes de la lutte contre le patriarcat ? Cette nouvelle organisation devra défendre un féminisme de classe, antiraciste, écologiste, inclusif, et pour cela former toutes et tous ses membres à l’histoire des luttes féministes et LGBTQI+, aux apports des féminismes matérialistes, au sujet notamment de la division sexuelle du travail, jusqu’ aux apports importants de l’afroféminisme, de l’écoféminisme, et aux théories contemporaines de la reproduction sociale. Elle devra tourner définitivement la page des formes du féminisme associées au racisme, notamment islamophobe, au mépris de classe et à l’exclusion des femmes racisées et des quartiers populaires, et accorder une place centrale au sein de la vie de l’organisation politique comme dans ses propositions aux préoccupations féministes comme l’autodéfense contre les violences sexuelles et sexistes, la sortie de la précarité et l’accès au logement et aux services publics. Dans une optique pédagogique, elle utilisera systématiquement et défendra dans ses publications, auprès de ses partenaires et plus largement dans la société, l’usage de l’écriture égalitaire.

Toutes les dimensions de ces luttes, défensives (autodéfenses écologiques et anticapitalistes, sanitaires, antifascistes et antiracistes, féministes) et offensives (pour la décroissance écosocialiste et un alter développement, pour toutes les égalités) impliquent des propositions politiques similaires : autogestion, planification et démocratie économique, réduction du temps de travail et retraites à 100% du salaire, services publics de proximité, gratuité, etc. (voir partie 3), mais aussi une même démarche politique, populaire et pluraliste, transversale et radicalement démocratique. C’est aussi ce qui explique ce que nous entendons par nouvelle organisation politique.

1. Cette organisation devra être construite d’emblée par et pour les premières et premiers concernés par les injustices et exploitations. Ce n’est pas le cas des partis politiques de la gauche radicale et anticapitaliste existants, dans lesquels sont surreprésentés les hommes blancs, de classe moyenne diplômée, habitants des centres-ville, retraités, au détriment des femmes, de classe populaire, ouvrières et précaires, habitantes et habitants des banlieues et régions rurales, jeunes. C’est le résultat, notamment, de la manière dont ces organisations ont été construites : principalement par des cadres militants expérimentés d’anciennes organisations, ayant acquis une place prépondérante notamment du fait de ces rapports de classe, de sexe et de race. Ces rapports de domination sont d’autant plus violents quand, par exemple au sein des partis composant la NUPES, c’est la logique électoraliste et verticale qui prime, comme on l’a vu récemment encore avec la mise à l’écart des militants et militantes de terrain populaires et racisées pendant les élections législatives de 2022. Ce n’est pas un candidat aux présidentielles, ni la cooptation de tel ou tel pour les élections législatives, qui changera la donne : il faut un rapport de force offensif imposé dans tous les domaines de la vie politique par les mouvements des quartiers organisés de manière autonome, mais aussi une organisation politique révolutionnaire et plurielle qui serait réellement celle des militantes et militants, habitantes et habitants des quartiers, racisées et racisés. Cela nécessite une volonté très claire dans la méthode et les priorités politiques, et de prendre le temps d’écouter, de se rencontrer, d’élaborer de la confiance – et pour cela, il faut de nombreuses militants et militantes des quartiers présentes dans la construction de cette organisation et avec une place importante dès le départ.

2. Cette organisation doit être d’un nouveau type, différente des partis politiques à l’ancienne, de leurs fonctionnements et leurs pratiques, aussi parce qu’elle aura pour fonction de relier transversalement les différentes forces, les divers espaces, temps et sujets des luttes pour l’émancipation. Ces différentes luttes doivent être considérées comme a priori à égalité, de même valeur et importance, y compris quand le moment politique implique de fixer des priorités tactiques, toujours provisoires. De ce point de vue, le caractère décisif des luttes écologiques anticapitalistes et populaires ne signifie pas que l’identité politique de l’organisation que nous voulons construire soit plus écologiste que féministe, ou plus anticapitaliste qu’antiraciste, par exemple. Concrètement, cela implique de valoriser des formes d’organisation, des pratiques et des propositions permettant de transversaliser, de tisser des liens systématiques entre les dimensions anticapitaliste, féministe, antiraciste, écologiste, antivalidiste, autogestionnaire, internationaliste, etc., de chaque lutte, et donc aussi entre les luttes. Il ne s’agit pas de viser la « convergence des luttes », qui est une illusion : il n’est pas réaliste que les indignations, colères, énergies, grèves, occupations et initiatives d’auto-organisation de notre camp soient partout les mêmes aux mêmes moments – autrement dit, il n’est pas nécessaire que nous allions toutes et tous aux mêmes manifestations le samedi. Y compris dans les moments de lutte plus intense, il y a plusieurs lieux à bloquer et occuper, après les victoires électorales, il y aura plusieurs fronts à défendre et offensives à développer, dans les moments de rupture révolutionnaire, il y aura plusieurs places publiques à prendre simultanément… Notre organisation devra impérativement – et certainement plus souvent que dans les pratiques actuelles – permettre de délibérer et décider collectivement, mais cela ne devra pas signifier l’abandon des autres luttes et terrains, mais plutôt la recherche de cohérences communes, toujours provisoires, entre les luttes diverses. Ainsi, à l’heure où nous écrivons, fin 2022, les questions de la retraite, du chômage, de l’inflation, du logement et de la précarité, ainsi que de la hausse des minimas sociaux et des salaires, ainsi que de toutes les conditions du bien vivre doivent constituer un des sujets politiques prioritaires. Mais notre organisation devra être capable de démontrer concrètement les liens de ces questions avec la catastrophe écologique, avec le devenir du capitalisme, avec les guerres et visées impérialistes en cours, avec l’apparition de pandémies, avec l’exploitation des travailleuses et des travailleurs et l’oppression des femmes et des personnes racisées et non-valides, avec les conditions de vie et de travail dans les quartiers populaires, avec le validisme et avec l’autoritarisme. Cette capacité de transversalité est donc étroitement liée avec la composition sociale et politique de départ de l’organisation que nous voulons construire, et avec son fonctionnement et la méthode pour la construire (voir partie 4).

3. Notre organisation devra connaître et assumer ses héritages, mais aussi exprimer la culture politique déjà existante dans les nouveaux mouvements sociaux et mobilisations citoyennes des dix dernières années. Nous faisons le constat que les pratiques et références des nouveaux mouvements sociaux, des mobilisations citoyennes et de la jeunesse ne sont pas véritablement entrées dans la culture des militantes des organisations politiques : il y a des manières de faire des réunions, de décider des actions, de pluraliser les modes opératoires, d’inclure de nouvelles personnes, qui doivent être apprises, prises en compte, mises en œuvre. Il y a aussi toute une histoire des luttes populaires des quartiers et des habitantes et habitants ainsi que de la colonisation, des luttes d’indépendance, qui restent encore inconnues et extérieures aux principales organisations politiques et qui doivent avoir toute leur place dans le récit révolutionnaire. Enfin, il y a aussi une exigence de démocratie qui est incomparablement plus forte dans la nouvelle vague de mouvements sociaux et la jeunesse, et c’est notamment à partir de cette exigence, et du constat de sa très insuffisante prise en compte, que nous estimons que les partis politiques existants doivent être dépassés et qu’il faut une nouvelle organisation politique. La rotation des mandats et des responsabilités, la parité et le droit des minorités sont souvent affichés et rarement mis en œuvre dans les organisations associatives, syndicales et politiques aujourd’hui – mais ces règles tout à fait nécessaires du fonctionnement de notre organisation (voir partie 4) ne sont pas le tout d’une culture politique démocratique. La lutte radicale et continue contre les violences sexuelles et sexistes, l’attention permanente à la question des inégalités face au temps, aux ressources de la prise de parole et de l’action collective, la vigilance permanente contre toutes les dominations, l’habitude de réunions inclusives, conviviales, pas trop longues, sans violences morales, manipulations ou intimidations, doivent faire partie du fonctionnement, des règles et de la culture politique communes de notre organisation, dès le départ. Là encore, le défi principal, à ce stade, est celui de la méthode de construction, et de la possibilité que l’organisation soit d’emblée construite pas seulement par des hommes blancs, par des personnes valides, pas seulement par des militants et militantes politiques héritières directes de l’histoire du mouvement ouvrier partidaire et du marxisme, mais aussi par la nouvelle génération de militantes et militants, de sympathisantes et sympathisants des nouveaux mouvements sociaux, de jeunes écolos anticapitalistes, de l’antiracisme politique, de l’antivalidisme, des féministes de la quatrième vague, habitants et habitantes mobilisées, des militants et militantes des quartiers racisées, syndicalistes, libertaires, militantes et militants d’associations porteuses d’une nouvelle culture politique autogestionnaire et inclusive, radicalement démocratique.