Où en sommes-nous ?

Catastrophes écologiques et sanitaires, crises économiques et démocratiques, montée du fascisme et de l’autoritarisme, violences sexistes et racistes, guerres impérialistes… : le système actuel n’est pas la solution, car c’est lui qui est la cause de cette crise globale, et donc de nos problèmes.

Nous ne faisons aucune confiance aux dirigeants économiques et politiques qui profitent de ce système, et le défendent, pour éviter les catastrophes. Nous savons que leurs priorités ne sont pas les nôtres, qu’ils sont indifférents à nos besoins, intérêts et aspirations, et structurellement incapables de régler nos problèmes de santé, de qualité de vie, de perte du sens du travail, et de mettre fin aux situations d’exploitation, d’inégalités, de discrimination, de précarité, d’exclusion et de violence que nous pouvons subir. Nous n’avons rien à attendre d’eux ni de celles et ceux qui prétendent vouloir tout changer au nom du peuple, mais veulent surtout le pouvoir. Les dernières années ont clairement montré l’inaction écologique des capitalistes, leur négligence sanitaire, leur indifférence aux souffrances populaires, leur haine de l’égalité réelle et de la démocratie, leur obstination à démanteler nos droits et conquis sociaux, leur désir insatiable de profits et de pouvoir. Les crises qui s’accélèrent poussent toujours plus les partisans de l’ordre établi à défendre sans concession, par tous les moyens, leurs privilèges, leurs profits et leurs dominations. Au contraire, nous voulons l’émancipation, la justice et la paix, la santé et la liberté, l’égalité et la démocratie.
Pour cela, les puissances auxquelles nous devons nous opposer sont énormes. L’accélération des catastrophes écologiques (changement climatique, diminution de la biodiversité, augmentation de la pollution…) prépare de nouveaux basculements (épidémies mortelles, maladies chroniques, sécheresse et inondations…) qui peuvent mettre en danger l’existence de centaines de millions d’êtres humains, en premier lieu parmi les plus pauvres, mais qui dégraderont aussi les conditions de vie et de travail de la grande majorité, au Nord comme au Sud. Les grands groupes capitalistes, les États et les organisations supranationales qui les appuient ont acquis des moyens financiers, politiques, médiatiques et répressifs puissants comme jamais, pour faire régner « la liberté d’entreprise », c’est à dire en réalité la dictature du marché contre les intérêts de la majorité. Au niveau mondial, la course au capitalisme vert et à l’armement, la marchandisation de tous les secteurs de la vie, la guerre contre l’agriculture paysanne, le travail de subsistance et les communautés indigènes et populaires (et en premier lieu les femmes), l’usage sécuritaire des outils numériques, la prise de pouvoir de la finance sur la production des biens et des services et sur les communs (comme l’eau par exemple), aggravent cette tendance qui nous dépossède toujours plus de notre travail et de nos conditions d’existence. En France comme ailleurs, il n’y a plus de place pour des compromis : les gains de productivité des entreprises baissent et les coûts des ressources naturelles et des sources d’énergie sont en hausse. Alors les partisans de l’ordre établi font le pari de profiter et de spéculer sur les désastres en cours et à venir, et, plus que jamais, ne reculent que face aux rapports de force – ce sera encore le cas pour la bataille contre la nouvelle réforme inégalitaire des retraites qui s’ouvre alors que nous écrivons ce Manifeste. Les instruments des dominations impérialistes – l’armée et le complexe militaro-industriel, la dette, la finance, la propriété des richesses, les infrastructures – sont aujourd’hui plus puissants et étendus que jamais. La montée de nouvelles formes de fascisme – en France et ailleurs, notamment dans les puissances construites sur le colonialisme à l’extérieur ou l’intérieur du pays – se nourrit de ces logiques autoritaires, écocides et impérialistes portées par des élites dirigeantes qui instrumentalisent le désarroi populaire face aux crises, la perte de l’espoir dans le socialisme comme alternative, et profitent des faiblesses, des renoncements et des échecs des forces de gauche.

Face à cette situation, nous ne pouvons pas nous en remettre aux professionnels des adaptations aux désastres ou des petites réformes, nous devons prendre nos destins politiques en main. Il n’y a pas d’autre issue qu’une transformation radicale de la société, qui devra s’attaquer en même temps à toutes ces logiques, démanteler ces systèmes, infrastructures et institutions mortifères et les remplacer par d’autres, créées et contrôlées de manière radicalement démocratique et autogestionnaire – un processus impliquant nécessairement des dizaines ou centaines de milliers de personnes partageant des objectifs communs. D’un point de vue politique, c’est le constat le plus important : un changement radical et global, révolutionnaire, permettant de reprendre la main collectivement sur le travail et sur toutes les conditions de nos vies, est une question vitale, urgente, incontournable. Mais d’abord, nous devons construire la force populaire suffisante, les outils et les formes d’organisation nécessaires pour imposer une telle alternative globale.

Nous devons nous rejoindre, nous organiser massivement et contribuer à fabriquer ces instruments. Ne nous résignons pas au pire ni à la logique du moindre mal ! Nous savons que le capitalisme ne sera jamais autre chose que la recherche du profit à tout prix et qu’il ne cessera jamais de détruire la planète et de dégrader toutes les conditions de vie : il faut donc en finir. Nous savons que le patriarcat et le racisme ne sont pas d’abord des questions de préjugé, mais sont avant tout des systèmes d’oppression des existences et d’exploitation au travail et que nous devons également briser ces systèmes. Nous savons que l’État est au service de ces structures d’exploitation. Et nous avons compris qu’il ne nous reste pas beaucoup de temps avant que les catastrophes ne s’aggravent encore au-delà de ce que nous pouvons imaginer. Mais nous ne voulons, nous ne pouvons pas rester entre nous ! Une partie de la gauche anticapitaliste est en train de mourir de son sectarisme, de sa déconnexion des classes populaires, de ses logiques avant-gardistes : nous ne pouvons pas nous y résoudre ! Bien sûr, nous voulons convaincre massivement qu’il faut mettre toutes nos forces et intelligences en commun pour changer de système. Mais nous voulons aussi apprendre de celles et ceux qui, dans notre camp, et en premier lieu dans les quartiers populaires, ne se considèrent pas comme des anticapitalistes ou des révolutionnaires, mais portent hautes les exigences de justice, d’égalités et de démocratie et organisent la solidarité au quotidien contre la misère, le racisme et pour se défendre de toutes les violences. Et même si toutes et tous ne se considèrent pas déjà comme nos camarades de lutte, nous voulons inventer et construire ensemble, à égalité, des solutions, stratégies et alternatives.
Les forces vives sont bien là, en France comme ailleurs. Des raffineries de Feyzin en France aux ateliers textiles du Bangladesh, des employés municipaux du Congo au mouvement de grève générale initié par la Confédération des peuples indigènes de l’Équateur en passant par la grève du secteur privé en Nouvelle-Calédonie, des travailleuses et des travailleurs se mettent en grève pour de meilleurs salaires et de meilleures conditions de travail, contre l’exploitation capitaliste du travail. Des habitant­es et habitants de Notre Dame des Landes (France) ou de Pujehun-Distrikt (Sierra Léone), défendent leurs quartiers, leur village, leur région, contre les pelleteuses de Vinci et Bolloré et leurs projets nuisibles. Du grand mouvement des agricultrices et agriculteurs en Inde aux luttes contre la déforestation en Amazonie, les mouvements paysans, indigènes et écologistes se mobilisent pour défendre les terres contre l’extractivisme et le productivisme. De la lutte du peuple palestinien contre l’oppression coloniale israélienne à la résistance populaire ukrainienne contre l’agression russe, en passant par les mobilisations contre la Françafrique et contre les ingérences étasuniennes en Amérique latine, les peuples refusent les impérialismes et défendent leur droit à s’autodéterminer, comme on l’a vu récemment avec le HIRAK. De la Dalle d’Argenteuil à Chicago Avenue à Minneapolis, des voix s’élèvent pour refuser le racisme et les meurtres de la police. Les 8 mars ces dernières années, le puissant mouvement de grève féministe a mobilisé des millions de femmes, en Argentine, au Chili, au Mexique, en Espagne, en Pologne, en France et ailleurs, tandis que c’est la mobilisation populaire après le meurtre d’une femme qui fait aujourd’hui vaciller le régime en Iran. Il y a là les fondements d’une nouvelle internationale révolutionnaire, qui porte, ici comme ailleurs, une nouvelle culture politique potentiellement majoritaire.

Pour reprendre la main collectivement sur nos vies, notre travail, nos retraites et ne pas rester dans la sidération, pour construire un avenir habitable et désirable, mettre en pratique la solidarité à grande échelle, il est urgent de nous organiser et, coude à coude, de prendre à bras le corps la question du pouvoir politique