Nous pensons donc que nous ne pouvons pas nous passer d’une organisation politique visant à réunir les exploitées, exploités, opprimées et opprimés autour d’un projet politique émancipateur et d’une alternative globale, une nouvelle organisation dont nous déciderons collectivement et démocratiquement du fonctionnement. Une organisation pluraliste et unitaire, qui associerait des histoires, expériences et orientations différentes, articulant toutes les dimensions de la lutte sociale et politique : solidarité concrète, autodéfense et autogestion, grèves et occupations, batailles idéologiques et institutionnelles, formation et intervention médiatique, débats stratégiques, en menant les combats aux niveaux local, national et international. Une organisation qui donnerait une place prépondérante aux initiatives concrètes et locales tout en facilitant le partage, les échanges d’expérience, leur coordination et leur mise en cohérence politique. Nous ne voulons pas de ce qui fait l’échec et le rejet légitime des partis politiques existants : électoralisme, opportunisme, instrumentalisation, caporalisme, manque de démocratie, sexisme, racisme, validisme, sectarisme, déconnexion des quartiers populaires et des réalités quotidiennes du travail, mépris des initiatives antiracistes et féministes auto-organisées et des expériences autogestionnaires, division inégalitaire des activités militantes…

En octobre 2020, dans notre texte fondateur, nous écrivions vouloir créer, au contraire, une organisation politique « construite avec les exploité.e.s et opprimé.e.s, à partir des résistances concrètes dans les lieux de vie, de travail, d’étude », « décloisonnant les initiatives syndicales, habitantes, politiques », « pour une transformation révolutionnaire de la société, débarrassée du capitalisme », « écologiste et populaire », « résolument antiraciste […] féministe », « concrètement internationaliste et solidaire des luttes populaires dans le monde », « une organisation totalement démocratique et inclusive », « ouverte au plus grand nombre », « utile au quotidien ». Nous savons que ces objectifs sont ambitieux, nécessitent du temps et une attention collective de tous les instants et que nous avons besoin d’être nombreuses et nombreux pour y arriver. Nous savons que certaines et certains, qui partagent nos objectifs, pensent que c’est trop tôt, que les conditions ne sont pas encore réunies… et aussi qu’au sein des mouvements sociaux, beaucoup doutent que cela soit possible, qu’au sein des partis politiques certains et certaines hésitent en craignant ne pas pouvoir construire mieux que l’existant, qu’au sein de notre camp social, un grand nombre ne croit pas à la possibilité d’un processus révolutionnaire vers une alternative globale. Pourtant, dans plusieurs organisations existantes, nombreuses et nombreux sont les militantes et militants qui savent qu’il faudra dépasser les cadres existants pour faire face à la situation actuelle : c’est le moment !

Bien sûr, il est trop tôt pour faire des propositions précises de fonctionnement, qui devront émerger de rencontres et discussions dans le cadre d’un processus constituant au périmètre bien plus large que celles que nous avons pu organiser ou auxquelles nous avons pu participer jusqu’ici. Et nous n’avons, de ce fait, pas considéré comme prioritaire, à ce stade, depuis le début de notre initiative, de formaliser dans le détail des règles de fonctionnement. Mais voici déjà quelques premières pistes à préciser et débattre, pour répondre aux problèmes que nous posions dans notre texte fondateur en décembre 2020, et que nous proposons à la discussion :

(A) Une organisation populaire, ouverte, utile au quotidien pour les premiers et premières concernées

Comment faire pour construire une organisation populaire, ouverte, utile au quotidien pour les premiers et premières concernées, permettant de décloisonner entre mondes partidaires, syndicaux et militants, et de réinventer toutes les activités d’une organisation politique de telle manière qu’elles soient accessibles à toutes et tous, et pas seulement à des professionnels du militantisme ?

Le plus important, sans doute, est de construire d’emblée l’organisation avec des militantes et militants, avec des habitants et habitantes représentant une pluralité d’expériences, d’histoires et de pratiques bien plus importante que celles qui ont présidé à la construction des organisations politiques actuellement existantes. C’est la méthode que nous proposons et cherchons à mettre en œuvre, pour un processus constituant par en bas (voir infra point 5). Mais des propositions précises de fonctionnement pourront également jouer un rôle d’inclusion populaire important, par exemple :

• la possibilité que des groupes déjà constitués (par exemple membres d’une association, d’une maison de retraite ou d’un même foyer, familial ou non, d’un collectif d’habitantes et habitants dans un quartier, d’un collectif de travail, d’un groupe d’étudiants et d’étudiantes) puisse constituer une entité de base de l’organisation, possédant le droit comme tout autre comité local de participer en tant que tel à la vie de l’organisation.

• la pluralisation systématique des pratiques militantes, formes et temps de réunion, pour permettre de participer aux discussions et initiatives, locales et nationales, aussi bien en ligne (en visio ou par questionnaire) qu’en réunions physiques, aussi bien le midi pendant la pause déjeuner du travail qu’en fin de journée et le week-end en organisant aussi des modes de garde pour les enfants, aussi bien en associant les discussions à des pratiques culturelles (club ciné, sport, fêtes de quartier) qu’en associant les temps de l’activité politique à des pratiques de solidarité alimentaires, juridiques, professionnelles, etc.

• en partant des besoins populaires au-delà des cercles militants, par exemple au moyen d’enquêtes militantes sur les priorités, besoins et aspirations des habitants et habitantes, et la participation aux initiatives d’auto-organisation et de solidarité concrète dans les quartiers et les villages

(B) Une organisation vraiment démocratique et inclusive

Comment faire pour construire une organisation vraiment démocratique et inclusive, qui respecte la pluralité des expériences et des tactiques tout en donnant les moyens d’œuvrer à une stratégie commune, plaçant la démocratie au centre de toutes les pratiques militantes ?
Au-delà de la question (décisive) de la méthode et des actrices et acteurs pour initier le processus constituant de l’organisation, des questions de fonctionnement seront ici bien sûr fondamentales. La démocratie dans une organisation repose sur des règles, mais pas seulement. Elle repose aussi sur des pratiques favorisant l’exercice de la démocratie par toutes et tous, quel que soit leur niveau d’étude, de temps de militantisme, de culture partidaire… Nous pensons qu’il existe de nombreux principes et formes d’organisation favorisant la démocratie qui restent peu connus et appliqués dans les partis politiques existants, à discuter, essayer et réviser, comme par exemple :

• des mécanismes clairs, systématiques et respectés de rotation et de révocabilité des représentantes et représentants, porte-paroles, candidats et candidates élues ;

• la possibilité de participer de manière simple et régulière, via des logiciels et procédures simples, à des débats et votes en ligne, et de convoquer (par exemple à l’initiative des comités locaux, avec une proportion par exemple d’un quart) des réunions spécifiques accompagnées si nécessaires de vote sur toutes les questions de la vie de l’organisation ;

• la tenue régulière et fréquente (par exemple toutes les 6 semaines) de réunions nationales physiques réunissant des représentantes et représentants directs des comités locaux (ainsi que les commissions, tendances, secteurs, branches, etc. le cas échéant) pour décider de toutes les grandes décisions de l’organisation.

(C) Une organisation pour une transformation révolutionnaire de la société

Comment construire une organisation pour une transformation révolutionnaire de la société, et pour que cette perspective prenne pour un grand nombre un sens concret à partir des préoccupations plus immédiates ?

De ce point de vue, il faudra éviter aussi bien l’entre-soi militant nostalgique que l’oubli de nos histoires, le marxisme dogmatique que la liquidation du marxisme, l’anarchisme dogmatique que le désintérêt pour les pratiques et idées libertaires, le changement seulement par les petits gestes que la négligence des pratiques d’autonomie et d’expérimentation, les appels incantatoires à la révolution que le renoncement à changer de système de fond en comble…Et il faudra donc certainement :

• mettre au centre de la vie de l’organisation l’autoformation populaire, permettant à toutes et tous de se réapproprier les théories et expériences révolutionnaires, les savoirs des sciences humaines et sociales et les connaissances scientifiques, les savoirs populaires et les expérimentations et propositions d’alternatives, en mettant en œuvre toute la richesse des pratiques de l’éducation populaire (enquêtes ouvrières et militantes, arpentage, etc.).

• Promouvoir et soutenir particulièrement les expérimentations et alternatives au potentiel de transformation radicale anticapitaliste et écologiste, des ZAD aux ébauches de sécurité sociale alimentaire, des collectifs de travail en autogestion aux plateformes de solidarité auto-organisées comme l’Après M.

• impliquer toutes et tous dans l’élaboration et la discussion de programmes politiques de rupture, à l’occasion de chacune des élections, mais aussi en lien avec l’activité quotidienne de l’organisation, en mettant en avant des préoccupations peu travaillées par les partis politiques et pourtant fondamentaux pour les premiers et premières concernées et le lien entre besoins immédiats et perspectives révolutionnaires, comme les dégâts du travail sur la santé (et donc la lutte pour la démocratie sanitaire et la démocratie au travail).

(D) Une organisation résolument antiraciste

Comment construire une organisation vraiment et résolument antiraciste, qui soit celle des militantes et militants, habitantes et habitants des quartiers populaires et des immigrations, utile sur le terrain contre tous les racismes et l’islamophobie, contre les violences policières, pour la décolonisation des espaces publics et de la société ?

Les partis politiques existants font peu d’efforts pour intéresser et accueillir les personnes racisées, et semblent en l’état tout à fait incapables de construire à égalité avec elles et eux. À cet égard, il ne faut rien moins qu’un bouleversement culturel et politique dans les rapports habituels des organisations politiques aux quartiers populaires :

• l’organisation politique devra faire de l’autodéfense des personnes racisées, contre toutes les violences qui les ciblent spécifiquement et notamment contre les agressions racistes et fascistes, une priorité de toute l’organisation

• l’organisation devra, par un objectif explicite et affiché, et si nécessaire par des règles explicites et quotas, garantir la diversité de culture et d’origines de ses représentantes et représentants, porte-paroles, candidats et candidates, et, de manière systématique, questionner ses propres pratiques et manière de s’organiser qui peuvent être involontairement excluantes

• elle devra mettre clairement en avant l’objectif de soutenir, dans la société comme en son sein, toutes les égalités, et mettre la révolution antiraciste, l’antifascisme et l’anti-impérialisme au cœur de son projet politique.

(E) Une organisation radicalement et intégralement féministe

Comment construire une organisation radicalement et intégralement féministe, concevoir et organiser les activités militantes pour qu’elles ne reproduisent pas la violence, les rapports concurrentiels, le culte du virilisme et de l’égo des organisations patriarcales, et mettent la révolution féministe au cœur de son projet politique ?

• elle devra être l’organisation de la nouvelle génération de militantes et collectifs féministes (grève féministe, colleuses, décompte des féminicides, Coordination féministe), intégrer vraiment la nouveauté de leurs pratiques militantes et de leur culture politique, qui allie clairement les luttes féministes aux luttes LGBTQI+, anticapitalistes, antiracistes, écologistes et antivalidistes,

• elle devra faire de la revalorisation des métiers à prédominance féminine (infirmières, aides à domicile, caissières, enseignantes) et du travail de soin (tout particulièrement dans le cadre du travail domestique gratuit), de leur répartition, de l’égalité professionnelle et de tous les aspects de la lutte contre la division sexuelle du travail, une priorité constante de l’organisation politique,

• elle devra lutter de manière systématique contre les violences sexuelles et sexistes, dans l’ensemble de la société, mais en commençant par l’organisation elle-même, en prévoyant des règles claires, en se donnant le moyen de les appliquer, et en s’appuyant sur une charte antisexiste (ou une charte de toutes les égalités intégrant centralement l’enjeu féministe), mais aussi en mettant en œuvre systématiquement les outils du féminisme (réunions en non-mixité, etc.) au sein de l’organisation

(F) Une organisation concrètement internationaliste, altermondialiste et anti-impérialiste

Comment construire une organisation concrètement internationaliste, altermondialiste et anti-impérialiste, qui fasse de la solidarité avec les luttes populaires et démocratiques dans le monde un enjeu quotidien et structurant ?

• Elle devra travailler à la création de comités locaux dans d’autres pays que la France, et des échanges et de la participation aux cadres internationalistes, progressistes et révolutionnaires, comme un enjeu fondamental de la vie et du développement de l’organisation, en privilégiant pour commencer les rapports de coopération avec les mouvements populaires dans des pays dont sont originaires ou en affinité culturelle d’importantes parties de la population française (notamment issue des ex-colonies dont principalement des pays africains)
• elle devra faire de l’opposition à l’impérialisme, au militarisme et au néocolonialisme de l’État français un enjeu politique constant, permettant de faire le lien entre l’ensemble de ses propositions politiques et celles qui concernent plus spécifiquement la politique internationale.

• Elle devra prioritairement appuyer politiquement et mettre en œuvre des actions de solidarité concrète pour les mouvements révolutionnaires, ouvriers ou paysans de masse (Soudan, Inde…) et les peuples en lutte contre des agressions impérialistes et pour leur droit à l’autodétermination (Ukraine, Yémen, Palestine…).